Qu’est-ce que le storytelling de marque ?
Le mot “storytelling” est recherché plus de 10,000 fois par mois en France - c’est donc officiellement un buzzword. Mais qu’est-ce que le storytelling, et comment est-il utilisé par les marques aujourd’hui ? Cet article analyse les stratégies activées par les champions du storytelling, et les plus gros échecs des dernières années.
Au menu :
- Pourquoi : l’art du storytelling est un moyen de communication redoutablement efficace. Je vous explique pourquoi.
- Qui : il n’y a pas que les multinationales américaines qui maîtrisent les codes du storytelling. Les français font ça très bien, et je vous en donne trois exemples.
- Comment : à travers des exemples et des conseils d’expert, je vous donne les clés pour commencer à construire votre propre storytelling.
PS : Si vous êtes plutôt à la recherche d’astuces, ou d’exemples concrets d’usage réussi des techniques de storytelling, rendez-vous directement en bas de l’article !
Prêt.e ? On y va.
Le storytelling pour influencer, persuader et convaincre
Le storytelling est défini comme une technique de communication reposant sur un schéma narratif semblable à celui des récits et des contes. À la différence des récits, le storytelling est généralement employé dans le cadre d’une démarche active de l’orateur, dont l’objectif est de suggérer des idées nouvelles, voire influencer les idées de son auditoire.
En somme, c’est une méthode utilisée par de nombreux types d’acteurs, en particulier le monde politique et les marques, à des fins commerciales. Un storytelling bien maîtrisé peut s’avérer très efficace pour persuader une audience. Et c’est une méthode qui marche, depuis des millénaires !
Je vous explique pourquoi ci-dessous.
Pourquoi le storytelling marche-t-il si bien sur les gens ?
Le récit est un mécanisme universel, ancré dans la tradition humaine. De nombreuses études se sont penchées sur l'art millénaire des histoires, qui nous accompagne depuis les débuts de l'humanité.
Nous sommes des créatures sociales qui réagissent aux récits, c'est un fait, mais pourquoi ?
Tout simplement, parce que notre cerveau réagit d'une manière particulière au storytelling.
Une expérience scientifique a démontré les résultats suivants :
- Lorsque nous écoutons une présentation qui se borne à décrire des chiffres, des faits ou des informations, une certaine zone de notre cerveau s'active : c'est la zone associée au traitement du langage. Le cerveau travaille donc à nous faire comprendre les mots prononcés par le présentateur.
- Lorsque nous écoutons une histoire, d'autres zones s'activent en plus de celle dédiée au traitement du langage : ce sont les zones qui seraient activées si nous vivions réellement l'expérience décrite par cette histoire.
Par exemple, si nous entendons "le manoir s'imposait devant eux, décharné, sombre, encerclé par une grille rouillée et des arbres touffus, qui semblaient presque l'étouffer. Le vent soufflait, glacial, dans leur dos" - notre cortex sensoriel s'active, presque comme si nous étions dans le froid, devant ce manoir. Si on nous raconte "Pierre a saisi la balle à deux mains, avant de foncer au sol pour esquiver son adversaire", notre cortex moteur s'active comme si nous étions prêts à saisir la balle !
Les récits sollicitent une plus large partie de notre cerveau et nous plongent dans l'action, dans l'émotion, dans l'expérience. Ainsi, l'ancrage mémoriel et les souvenirs sont décuplés.
Lorsque nous prenons une décision, nous faisons appel à notre sens logique, mais aussi à nos émotions, à notre instinct, à notre expérience passé, qui sont influencés par les récits qui nous entourent.
Votre cerveau vous joue des tours...
Et c'est tout l'intérêt du storytelling : sa pratique permet aux marques qui en maîtrisent les codes de s’adresser non seulement au côté rationnel de leurs cibles, mais aussi de jouer sur l’affect. Le récit est une tactique qui vient donner plus de poids à ces émotions dans le processus décisionnel.
Lorsqu’il est bien construit, le storytelling a la capacité de concurrencer - et de surpasser - la logique.
Cependant, même si notre patrimoine génétique nous rend sensibles aux récits, il ne suffit pas de raconter des fables distrayantes pour avoir un vrai impact sur son public. Et encore moins pour faire réagir ses interlocuteurs de la manière dont on souhaite qu'ils réagissent.
Pour ça, il faut savoir créer un schéma narratif puissant, qui va enrichir et soutenir les informations que vous voulez transmettre à votre public.
Bon, vous l’avez compris, nous sommes tous inconsciemment influencés par les histoires que nous entendons. Mais comment cette technique est-elle utilisée efficacement par les marques ? Quels sont les meilleurs exemples de storytelling ces dernières années ?
C’est parti pour une petite rétrospective de quelques marques qui cartonnent dans cet art !
Trois marques françaises championnes du storytelling
Aujourd’hui, on fait un peu passer tout et n’importe quoi pour du storytelling. Ou même pire, tout le monde va vous ressortir les mêmes exemples poussiéreux, souvent venus des US. Alors à part Steve Jobs, Apple, Nike et Netflix qui sont les grands champions du storytelling ces derniers temps ?
Je vous partage quelques uns des meilleurs exemples du moment à mon sens. Et que du Made in France !
#1 : Michel et Augustin ou le storytelling communautaire
On ne présente plus Michel et Augustin, les champions du biscuit et auto-proclamés “trublions du goût”. Et d’ailleurs, ce choix de wording en dit long sur la marque et sa manière de communiquer avec ses audiences.
Comment Michel et Augustin utilise le storytelling
L'authenticité comme fil rouge, l’exubérance comme signature : à travers sa communication et sa production intensive de contenus (interviews de chefs, formation au CAP Pâtissier, présence à des événements locaux et engagés, …), la marque se positionne comme une entreprise authentique et sincère, qui veut réinventer la pause goûter. Un positionnement authentique, complété par une tonalité éditoriale complètement décalée. Par exemple, les deux fondateurs de la société, Michel et Augustin eux-mêmes, ont défrayé la chronique en se baladant quasi nus, déguisés en vaches dans le métro Parisien. L’univers visuel de la marque est très lourd, très coloré, et rempli de personnages qui viennent compléter cet aspect authentique et très humain.
Chaque mot compte chez Michel et Augustin : lorsque l’on regarde d’un peu plus près les nombreuses campagnes de communication et les packagings des produits de Michel et Augustin, on remarque que certains mots et champs lexicaux sont récurrents :
- “Vrais”, “simples”, “petits”, pour la description des produits
- Le champ lexical de la saveur : “goût”, “bons”, “sucré”, “salé”, “gourmands”, …
Cette cohérence vient soutenir efficacement le storytelling de la marque et ancrer ces attributs dans l’inconscient du consommateur.
L’équipe au coeur de l’histoire : que cela soit les cafés du vendredi, le learn at lunch ou les portes ouvertes, le lieu et ses employés sont au coeur de la communication de Michel et Augustin. Les clients et les curieux sont fréquemment invités à venir les rencontrer, et la mise en valeur des équipes de Michel et Augustin fait partie intégrante de la stratégie de Content Marketing de la société.
#2 : Lemlist ou l’art du contenu actionnable
Vous connaissez peut-être Lemlist, un outil d'emailing qui simplifie l’envoi d’emails commerciaux personnalisés à des clients potentiels. En un peu moins de deux ans, Lemlist est passé de zéro à 250,000$ de revenu récurrent annuel et plus de 8000 utilisateurs. Un développement fulgurant, soutenu en grande partie par une stratégie intelligente et bien exécutée de Content Marketing, ainsi qu’un storytelling bien particulier à l'entreprise.
Comment Lemlist utilise le storytelling
Une tonalité éditoriale “no bullshit” assumée : Lemlist publie énormément de contenu vidéo et écrit, en maintenant une approche éditoriale très cohérente. Pour chaque publication, du contenu actionnable et simple à appliquer est partagé, que cela soit sous la forme de templates, de cas d’usage, d’outils… Ce qui a l’avantage de créer avec l’audience une solide relation de confiance.
L’incarnation de la marque et du produit dans une personne : chaque email, chaque article et chaque vidéo publiée par Lemlist est signée par Guillaume Moubeche, son co-fondateur et CEO. Cette tactique simple permet non seulement d’incarner la marque dans des contenus toujours très dynamiques et impactants, mais aussi de démontrer en direct l’efficacité du produit (Lemlist vendant in fine un outil de prospection Marketing). Bravo Guillaume ✌️
#3 : Kusmi Tea, bientôt 150 ans de storytelling !
La célèbre marque de thé Kusmi Tea a vu le jour à Saint Pétersbourg 1867. Pourtant, ce n’est qu’après son expatriation en France et depuis 2003 qu’elle a connu un essor rapide et un succès international. Pourquoi ? Grâce au pari de deux frères entrepreneurs ayant décidé de reprendre l’entreprise, alors au bord de la faillite. Leur usage du storytelling autour de la marque fait partie des raisons du succès de Kusmi Tea aujourd’hui.
Comment Kusmi Tea utilise le storytelling
Des produits qui racontent des histoires : chez Kusmi Tea, les produits vous embarquent à l’autre bout du monde ! Le thé est un produit de consommation chargé d’histoire, souvent associé à des pays éloignés et à des aventures rocambolesques.
C’est sur ce potentiel qu’a parié Kusmi, en rappelant le poids de ses 150 ans d’histoire à la fois dans le nom de ses produits (“Prince Wladimir”, “St Pétersbourg”, “Troïka”, ...) mais aussi dans son packaging, dont l’univers visuel très bariolé raconte toujours un voyage.
La culture comme angle d’attaque : Kusmi s’engage fréquemment dans des actions de mécénat et a noué des partenariats avec des personnalités françaises fortes, comme Jean Paul Gaultier ou Alain Ducasse. Ces partenariats sont un positionnement assumé pour la marque, mais aussi une manière de raconter son histoire à une audience plus large, en capitalisant sur la notoriété de ses partenaires.
Un storytelling mal maîtrisé peut s’avérer destructeur : les émotions sont aussi dangereuses
Afin de réellement impacter les décisions de votre public, vous l’avez compris à travers les exemples précédents, l'enjeu est de mêler information et émotion de manière équilibrée, claire et concise. Pour ce faire, il existe plusieurs schémas narratifs efficaces.
Mais attention au revers de la médaille ! Un storytelling mal maîtrisé est dangereux, car il peut vous attirer les foudres de votre audience si vous avez le malheur de toucher une corde sensible.
Vous vous souvenez de la publicité de Pepsi mettant en scène Kendall Jenner ?
En voulant surfer sur le mouvement Black Lives Matter, la marque a déclenché un torrent de réactions et une controverse telle que sa publicité a rejoint les rangs des pires spots publicitaires de 2017. Un exemple parmi d’autres que certaines histoires ne peuvent pas être racontées par tout le monde, ni n’importe comment.
Il existe de nombreux codes dans le storytelling. Voici à mon sens les trois plus importants.
Les règles d’or du storytelling
Soyez humain
Pour être crédible, vous devez donner à vos interlocuteurs la sensation qu'ils peuvent s'identifier à vous et à votre message. Pour ce faire, votre objectif principal est de créer de l'empathie, de jouer sur la corde émotionnelle qui va faire vibrer votre public !
DO - Construire une marque ancrée dans l'empathie
Oprah Winfrey, la reine des médias américains, a construit son empire médiatique en racontant des histoires simples : celle des drames et des défis du quotidien, incarnés par les invités de son talk show. L'émotionnalité et l'empathie sont les mots d'ordre de chacune de ses interventions publiques.
Soyez humble
Ce point est largement lié au premier : peu importe la qualité de votre histoire et vos talents d'orateur.trice, si vous ne vous mettez pas au même niveau que votre public en lui révélant votre humanité et vos faiblesses, il vous sera impossible d'établir un réel lien de confiance. Et sans ce lien, votre légitimité à vous exprimer sur votre sujet est fragilisée. Au mieux, vous passerez pour un expert prétentieux (si vous maîtrisez réellement votre sujet !). Au pire, vous laisserez une impression détestable à l'ensemble de votre auditoire qu'il vous sera difficile de corriger par la suite.
DON'T - Faire preuve d'arrogance et d'irrévérence
La déchéance sociale du CEO de WeWork a fait la une des médias - de jeune leader brillant, doté d'une passion pour le surf et le rock, il est devenu en quelques mois la personnification même de tout ce pourquoi les marchés financiers sont récriés. Lorsque vous racontez votre histoire et celle de votre marque, ne prenez pas une posture de supériorité par rapport à votre auditoire - c'est la meilleure manière de s'attirer ses foudres et de perdre la crédibilité qui vous avait été accordée !
Soyez honnête
La vérité est à la base de toute histoire réussie. Souvent, l'histoire elle-même et le récit sont agrémentés d'éléments plus ou moins inventés ou embellis, et cette pratique est acceptable, si et seulement si, ces éléments sont au service d'une vérité absolue. Cette vérité, c'est le message que vous voulez faire passer à votre public. C'est votre vision, c'est ce qui vous tient à coeur, votre objectif. Votre schéma narratif est un habillage plaisant de cette vérité, que vous voulez transmettre à ceux qui vous lisent ou vous écoutent.
DON'T - Fonder son histoire sur un mensonge
Les années 2017 et 2018 ont été respectivement marquées par deux des fraudes les plus incongrues de l'histoire : celles du Fyre Festival et de Theranos.
Le storytelling de Fyre était parfait, son execution un peu moins. Le Fyre Festival, dont les tickets se vendaient entre $500 et $1,500 par jour, promettait une expérience musicale et culinaire inédite, sur une île privée des Bahamas ayant appartenu à Pablo Escobar. À l'origine du buzz, une vidéo promotionnelle mettant en scène des mannequins célèbres comme Kendall Jenner, Emily Ratajkowski Hailey Baldwin et Bella Hadid. Plusieurs semaines avant la date de l'événement, les premiers signes de la catastrophe commencent à être visibles en interne : l'organisation logistique n'est pas au point, l'île promise dans la vidéo promotionnelle n'est plus disponible et le festival se retrouve relégué sur une zone bétonnée et insalubre, il n'y a pas assez de logements ni de tentes pour l'ensemble des festivaliers et les services de restauration sont limités sur l'île. Pourtant, Billy McFarland, le fondateur du festival, maintient le mensonge jusqu'au dernier moment, et le 28 avril 2017, près de 500 festivaliers sont débarqués sur une zone industrielle, sur laquelle ont été installées quelques tentes et déposés des matelas trempés par la tempête qui bat son plein. Au lieu de festival promis, c'est un véritable débâcle. Les mets culinaires sont remplacés par des sandwiches au fromage distribués dans des sachets plastique, les artistes annulent à la dernière minute, et les festivaliers ayant pourtant déboursé des milliers de dollars se précipitent vers l'aéroport de l'île pour rentrer en urgence à Miami.
L'histoire de Theranos commence comme un conte de fée. Après avoir quitté l'université de Standford à l'âge de 19 ans, Elizabeth Holmes fondait en 2003 la startup d'analyses sanguines Theranos, promettant une technologie sans pareille qui allait révolutionner le monde de la santé en ne prélevant que d'infimes quantités de sang pour tous types d'examens. En l'espace de 10 ans, Theranos a levé plus de 700 millions de dollars, atteignant une valorisation de près de 10 milliards. Cependant, en 2015, un journaliste du Wall Street Journal accuse la société de ne pas utiliser sa propre technologie pour réaliser ses tests sanguins. À partir de ce moment, l'entreprise s'enfonce dans un chaos médiatique, jusqu'à l'inculpation d'Elizabeth Holmes pour fraude massive.